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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/209

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Je m’apprêtai à plier la lettre en quatre.

— Oh ! me dit-il, que faites-vous !

Je m’arrêtai.

— Pardon, monsieur, lui dis-je, mais vous m’ordonnez de plier cette lettre, et je la plie.

M. de Broval se pinça les lèvres. J’avais souligné le mot « ordonnez « dans la phrase parlée, comme je viens de le souligner dans la phrase écrite.

— Oui, dit-il ; mais vous la pliez en carré : c’est bon pour les hauts fonctionnaires. Si vous donnez du carré aux inspecteurs, que donnerez-vous aux ministres, aux princes et aux rois ?

— C’est juste, monsieur le chevalier, répondis-je ; voulez-vous me dire ce que l’on donne aux inspecteurs et sous-inspecteurs ?

— De l’oblong, monsieur, de l’oblong !

— Vous me pardonnerez mon ignorance, monsieur ; je sais ce que c’est que l’oblong en théorie, mais je ne le sais pas encore en pratique.

— Tenez…

Et M. de Broval voulut bien me donner la leçon d’oblong que je lui demandais.

— Voilà ! me dit-il lorsque la lettre fut pliée. — Merci, monsieur, répondis-je.

— Maintenant, monsieur, l’enveloppe ? me dit-il.

Je n’avais jamais fait d’enveloppes, que pour les rares pétitions que j’avais écrites, au nom de ma mère, et une fois au mien sur le bureau du général Foy, de sorte que j’étais plus ignorant encore en fait d’enveloppes que de pliage.

Je pris une demi-feuille de papier de la main gauche, une paire de ciseaux de la main droite, et je m’apprêtai à tailler ma feuille.

M. le chevalier de Broval jeta un cri mêlé de surprise et d’effroi.

— Eh ! bon Dieu ! dit-il, qu’allez-vous donc faire ?

— Mais, monsieur le chevalier, je vais faire l’enveloppe que vous me demandez.