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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/251

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

J’aperçus sur le sol des guerriers et des armes,
Et des Anglais criaient : « Waterloo ! Waterloo ! »

» Et moi, fille de l’Angleterre,
Indifférente aux miens qui dormaient sur la terre,
J’appelais un Français, et pleurais sans remords…
Tout à coup, une voix mourante et solitaire
S’éleva de ce champ des morts :

« Adolphe ? « me dit-on. » Des héros de la garde
» Il était le plus brave et marchait avec nous ;
» Nous combattions ici… Va, baisse-toi, regarde,
» Tu l’y retrouveras, car nous y sommes tous !

» Je tremblais de le voir et je le vis lui-même…
Dis-moi quel est ce mal qu’on ne peut exprimer ?
Ses yeux, sous mes baisers, n’ont pu se ranimer…
Oh ! comme j’ai souffert à cette heure suprême,
Car il semblait ne plus m’aimer !

» Et puis… je ne sais plus !… Connaît-il ma demeure ?
Jadis, quand il venait, il venait tous les jours !
Et sa mère, en pleurant, accusait nos amours…
Hélas ! il ne vient plus, et pourtant elle pleure ! »

La folle vers la porte adresse alors ses pas,
Attache à ses verrous un regard immobile,
M’appelle à ses côtés, et, d’une voix débile :
« Pauvre Adolphe, dit-elle, en soupirant tout bas ;
Comme il souffre !… il m’attend, puisqu’il ne revient pas ! «

Elle dit, dans les airs la cloche balancée
Apprit à la douleur que l’heure était passée
D’espérer que ses maux, un jour, pourraient finir.
La folle se cachait ; mais, dans le sombre asile
Où, jeune, elle portait un si long avenir,
À la voix des gardiens d’où la pitié s’exile,
Seule, il lui fallut revenir.