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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/294

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

inconvénients dont, à la rigueur, la jeune fille pouvait se garantir, trop d’attraits aux yeux des parents pour qu’ils refusassent.

La demande fut accordée, et mademoiselle Georges partit, suivie de sa mère.

Les leçons durèrent dix-huit mois.

Pendant ces dix-huit mois, la jeune élève habita un pauvre hôtel de la rue Croix-des-Petits-Champs, que, par antiphrase probablement, on appelait l’hôtel du Pérou.

Quant à mademoiselle Raucourt, elle habitait, au bout de l’allée des Veuves, une magnifique maison qui avait appartenu à madame Tallien, et qui, sans doute aussi par antiphrase, s’appelait la Chaumière.

Nous avons dit « une magnifique maison, » nous aurions dû dire « une petite maison, » car c’était une véritable petite maison dans le style Louis XV, que cet hôtel de mademoiselle Raucourt.

Vers la fin du xviiie siècle, siècle étrange où l’on appelait tout haut les choses par leur nom, Sapho-Raucourt jouissait d’une réputation dont elle ne cherchait pas le moins du monde à atténuer l’originalité.

Le sentiment que mademoiselle Raucourt portait aux hommes était plus que de l’indifférence, c’était de la haine. Celui qui écrit ces lignes a sous les yeux un manifeste signé de l’illustre artiste, qui est un véritable cri de guerre poussé par mademoiselle Raucourt contre le sexe masculin, et dans lequel, nouvelle reine des Amazones, elle appelle toutes les belles guerrières enrôlées sous ses ordres à une rupture ouverte avec les hommes.

Rien n’est plus curieux pour la forme, et surtout pour le fond, que ce manifeste.

Et cependant, chose singulière, malgré ce dédain pour nous, mademoiselle Raucourt, dans toutes les circonstances où le costume de son sexe ne lui était pas indispensable, avait adopté celui du nôtre.

Ainsi, bien souvent, le matin, mademoiselle Raucourt donnait ses leçons à sa belle élève avec un pantalon à pieds, et