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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/33

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Ma mère insista. C’était un dernier espoir qui lui échappait.

— Eh bien, c’est bon, dit M. Deviolaine, laissez passer quelque temps là-dessus, et, plus tard, on verra.

J’attendais le retour de ma mère avec la même impatience que j’avais attendu les lettres d’Adolphe.

La réponse n’était guère plus satisfaisante.

Deux jours auparavant, nous avions reçu une lettre de mon beau-frère, receveur à Dreux : il m’invitait à aller passer un mois ou deux chez lui.

Hélas ! nous commencions à être si pauvres, que l’économie que devait produire mon absence faisait presque compensation à la douleur que mon départ causait à ma mère.

Et cependant, c’était ma première absence ; ma mère et moi ne nous étions jamais quittés, que pour ce fameux voyage de Béthisy, pendant lequel l’abbé Fortier m’avait donné mes premières leçons de chasse.

Puis il y avait aussi de par la ville une autre personne dont il était cruel de me séparer.

On devine de qui je veux parler.

Quoique notre liaison durât depuis plus de trois ans, y compris une bonne année de surnumérariat, j’aimais toujours beaucoup Adèle, et bien rarement pendant cette période, presque inouïe dans la vie d’un amour, l’azur de notre firmament avait été troublé par quelque léger nuage.

Cependant, depuis quelque temps, la pauvre fille était triste.

C’est que, si je n’avais pas encore dix-neuf ans, elle en avait déjà vingt ; c’est que notre amour, charmant jeu d’enfants, non-seulement ne promettait rien à son avenir, mais encore le compromettait. Comme on ne doutait pas de la pureté de nos relations, deux ou trois partis s’étaient présentés ; mais, soit qu’ils ne lui convinssent pas, soit qu’elle en fit le sacrifice à nos amours, Adèle les avait refusés. — Ne lui arriverait-il pas le même désappointement qu’à certain héros de notre connaissance, notre compatriote presque ? Après avoir méprisé perche, carpe et anguille, ne serait-elle pas forcée de