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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/34

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

souper avec quelques grenouilles ? La perspective n’était pas joyeuse ; de là venait sa mélancolie.

Pauvre Adèle !

Je compris que ce départ, qui était urgent pour moi, était nécessaire pour elle. Nous pleurâmes beaucoup, elle plus que moi, et c’était tout simple qu’elle versât plus de larmes, devant être consolée la première.

Mon départ fut donc arrêté.

C’était vers le mois de juillet 1822.

Seulement, je me gardai encore huit jours, — huit jours et huit nuits ! — une dernière semaine de bonheur ; car mes pressentiments me disaient que, cette semaine, c’était la dernière.

Le moment vint, il fallut partir.

Nous nous jurâmes bien de ne pas nous oublier une heure, nous nous promîmes de nous écrire au moins deux fois par semaine. Hélas ! nous n’étions pas assez riches pour nous permettre le luxe d’une lettre par jour.

Enfin, nous nous dîmes adieu !

Adieu cruel ! C’était plus que l’adieu des corps ; c’était l’adieu des cœurs.

Comment allai-je de Villers-Cotterets à Dreux ?… Expliquez cela : moi qui me rappelle les moindres détails de ma jeunesse, de mon enfance même, il me serait impossible de le dire ! Il est évident que je passai par Paris, puisque c’est la route directe ; mais comment ne me souviens-je pas d’être passé par Paris ?

M’y suis-je ou non arrêté ? y ai-je ou n’y ai-je pas vu Adolphe ? Je n’en ai pas la moindre mémoire

Je sais que je quittai Villers-Cotterets, et que je me trouvai à Dreux !

Si quelque chose pouvait me distraire de ma préoccupation, c’était ce séjour près de ma sœur et de mon beau-frère. — Victor, je l’ai déjà dit, était un charmant esprit, plein de verve, de mots, d’inattendu. Mais, hélas ! j’avais dans le cœur deux vides qu’il était bien difficile de combler.

Je restai mois à Dreux. J’y ouvris la chasse.