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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/65

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Eh bien, il faut revenir me voir, et me redemander d’autres places.

— Hélas ! monsieur Talma, je quitte Paris, demain ou après-demain, au plus tard.

— C’est fâcheux ! vous m’auriez vu dans Régulus… Vous savez que j’ai fait mettre au répertoire Régulus pour après-demain, Lucien ?

— Oui, je vous remercie, dit Lucien.

— Comment ! vous ne pouvez pas rester jusqu’à après-demain au soir ?

— Impossible ! il faut que je retourne en province.

— Que faites-vous en province ?

— Je n’ose pas vous le dire. Je suis clerc de notaire…

Et je poussai un profond soupir.

— Bah ! dit Talma, il ne faut pas désespérer pour cela ! Corneille était clerc de procureur ! Messieurs, je vous présente un futur Corneille.

Je rougis jusqu’aux yeux.

— Touchez-moi le front, dis-je à Talma, cela me portera bonheur !

Talma me posa la main sur la tête.

— Allons, soit ! dit-il. Alexandre Dumas, je te baptise poëte au nom de Shakspeare, de Corneille et de Schiller !… Retourne en province, rentre dans ton étude, et, si tu as véritablement la vocation, l’ange de la Poésie saura bien aller te chercher où tu seras, t’enlever par les cheveux, comme le prophète Habacuc, et t’apporter là où tu auras affaire.

Je pris la main de Talma, que je cherchai à baiser.

— Allons, allons ! dit-il, ce garçon-là a de l’enthousiasme, on en fera quelque chose.

Et il me secoua cordialement la main.

Je n’avais plus rien à faire là. Une plus longue station dans cette loge pleine de célébrités eût été embarrassante et ridicule ; je fis un signe à Adolphe, et nous sortîmes.

J’aurais volontiers sauté au cou d’Adolphe dans le corridor.

— Oh ! oui, lui dis-je, soyez tranquille, je viendrai à Paris, je vous en réponds !