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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/67

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS


Et, fouettant ses chevaux, en même temps qu’il faisait entendre ce roulement de la langue familier, aux cochers, il mit ses chevaux au galop.

Vingt secondes après, il s’arrêta, descendit de son siège, et vint m’ouvrir la portière.

— Eh bien ?… lui demandai-je.

— Eh bien, nous sommes arrivés, notre bourgeois : rue des Vieux-Augustins, hôtel des Vieux-Augustins.

Je levai le nez, et reconnus en effet la maison.

Je compris alors l’étonnement du cocher en voyant un grand gaillard de vingt ans, qui ne paraissait nullement paralysé, prendre un fiacre à la place du Palais-Royal pour aller rue des Vieux-Augustins.

Mais, comme il eût été trop ridicule d’avouer que j’ignorais la distance qui séparait les deux localités :

— C’est bien, dis-je d’une voix ferme. Combien vous dois-je ?

— Oh ! que vous le savez bien, notre bourgeois !

— Si je le savais, je ne vous le demanderais pas.

— C’est cinquante sous, quoi !

— Cinquante sous ? m’écriai-je désespéré d’avoir fait si inutilement une pareille dépense.

— Dame ! notre bourgeois, c’est le tarif.

— Cinquante sous pour venir du Palais-Royal ici ?

— J’ai prévenu monsieur qu’il était minuit passé.

— Tenez, dis-je, voici vos cinquante sous.

— Est-ce qu’il n’y a rien pour boire, notre bourgeois ? Je fis un mouvement pour étrangler le misérable ; mais il était fort et vigoureux ; je réfléchis que ce serait peut-être lui qui m’étranglerait, et je m’arrêtai. Je sonnai, la porte s’ouvrit, et je rentrai.

J’avais un profond remords d’avoir dilapidé mon argent, surtout en songeant que, Paillet n’eût-il rien dépensé de son côté, il ne nous restait plus que vingt francs cinquante centimes.

Paillet avait été à l’Opéra, et avait dépensé huit francs dix sous.