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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/72

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Ce n’était pas mon habitude, en effet, de rentrer la carnassière vide.

— J’étais si pressé de te voir, bonne mère, qu’au lieu de chasser, j’ai suivi la grande route, c’est-à-dire le plus court chemin.

Je mentais.

Si j’eusse avoué la vérité, j’eusse dit : « Hélas ! bonne mère, j’étais tellement préoccupé de savoir quel effet produirait sur toi la nouvelle qu’il me reste à t’annoncer, que, dans ma préoccupation, j’ai oublié la chasse, cette passion pour laquelle autrefois j’oubliais tout ! »

Mais, en lui disant cela, il fallait dire la nouvelle, et c’était ce que je voulais retarder autant que possible.

Un incident vint me tirer d’embarras, en faisant diversion aux idées qui préoccupaient ma mère en ce moment.

J’entendis hurler mon chien.

Je courus à la porte.

La maison voisine de la nôtre était celle d’un boucher nommé Mauprivez.

À la devanture de l’étal de ce boucher régnait une longue traverse de bois émaillée, de distance en distance, de crocs de fer auxquels on suspendait divers échantillons de viande.

En sautant après un mou de veau, Pyrame s’était pris comme fait une carpe à un hameçon, et était resté suspendu.

Voilà pourquoi Pyrame hurlait, et, on le voit, ce n’était pas sans cause.

Je le saisis à bras-le-corps, je le dépendis, et il se sauva dans l’écurie, la gueule tout ensanglantée.

Si jamais j’écris l’histoire des chiens qui m’ont appartenu Pyrame tiendra une digne place en face de Milord.

Qu’on me permette donc de laisser en suspens l’intérêt qui se rattache naturellement à mon retour, pour m’occuper un peu de Pyrame, lequel, malgré son nom prédestiné aux mésaventures amoureuses, n’a jamais eu, à ma connaissance, que des mésaventures gastronomiques.

Pyrame était un grand chien marron, de haute race française, qu’on m’avait donné tout petit avec un renardeau du