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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/75

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

ses heures de liberté ? C’est que Pyrame n’était gourmand que par besoin, tandis que Cartouche était destructeur par instinct. Un jour, il rompit sa chaîne, passa de notre cour dans la basse-cour du voisin Mauprivez. En moins de dix minutes, il avait étranglé dix-sept poules et deux coqs.

Dix-neuf fois homicide ! il fut impossible de faire valoir en sa faveur des circonstances atténuantes : il fut condamné à mort, et exécuté.

Pyrame resta donc seul maître de la place, ce qui, à la honte de son cœur, parut lui faire un sensible plaisir.

Son appétit même sembla augmenter dans la solitude.

Cet appétit, à la maison, était un défaut ; mais, en chasse, c’était un vice. Presque toujours, la première pièce que je lui tuais devant le nez, si c’était une pièce de menu gibier, perdrix, perdreau ou caille, était une pièce perdue. Sa large gueule s’ouvrait, et, grâce à un mouvement rapide d’aspiration, la pièce de gibier disparaissait dans le gosier de Pyrame. Bien rarement arrivais-je assez à temps pour apercevoir, en lui rouvrant la gueule, les dernières plumes de la queue de l’animal disparaissant au fond de son gosier.

Alors, un coup de cravache vigoureusement appliqué sur les reins du coupable le corrigeait pour le reste de la chasse, et il était rare qu’il retombât dans la même faute ; mais, entre une chasse et l’autre, il avait presque toujours eu le temps d’oublier la correction précédente, et c’était une nouvelle dépense de lanières à faire.

Deux autres fois, cependant, les gloutonneries de Pyrame avaient mal tourné pour lui.

Un jour, nous chassions, de Leuven et moi, dans les marais de Pondron. C’était sur un emplacement où l’on avait fait une double récolte dans l’année. La première récolte avait été celle d’un petit taillis d’aunes. Le propriétaire du terrain, après avoir coupé son taillis, l’avait ébranché, scié et mis en corde.

Puis il s’était occupé de la seconde récolte, qui était celle du foin.

Cette récolte, on était en train de la faire.

Seulement, comme c’était l’heure du déjeuner, les faucheurs