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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/81

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

seuil de la porte, une heure sonnant au clocher de la ville, la diligence venant de Paris s’arrêta sur la place, et il en descendit un voyageur qui fit au conducteur deux ou trois questions, s’orienta, et vint droit à moi.

Je devinai une partie de la vérité. Bamps marchait les genoux en dehors comme Duguesclin, et il fallait certainement être homme d’armes ou tailleur pour marcher ainsi.

Je ne m’étais pas trompé : l’inconnu vint droit à moi, et se fit connaître ; c’était Bamps.

Il s’agissait de jouer quelque chose comme la scène de don Juan et de M. Dimanche ; ce qui était d’autant plus difficile que je n’avais jamais lu Don Juan.

Cependant l’instinct suppléa à l’instruction.

Je reçus Bamps à merveille ; je le présentai à ma mère, à laquelle, par bonheur, j’avais touché quelques mots de cette première dette ; je le fis rafraîchir, et lui proposai de s’asseoir, ou, à son choix, de venir visiter notre propriété.

Dans la situation de Bamps, le choix était fait d’avance : il préféra visiter notre propriété.

Maintenant, qu’était-ce que cette propriété dont le lecteur m’a déjà entendu parler, mais qu’il a certainement oubliée ? Cette propriété, c’était cette maison de M. Harlay dont ma mère payait la rente viagère depuis quelque chose comme quarante ans !

M. Harlay était mort pendant mon séjour chez maître Lefèvre ; mais, comme s’il en eût fait le pari, il était mort le jour anniversaire de sa naissance, lequel terminait triomphalement sa quatre-vingt-dixième année !

Malheureusement, cette mort ne nous avait pas porté un grand profit. Ma mère avait emprunté, sur la maison et le jardin, à peu près la valeur de la maison et du jardin ; de sorte que, par cet héritage, nous n’étions ni plus riches ni plus pauvres ; et même, comme il y avait eu certains droits à payer, je me hasarderai à dire que nous étions plus pauvres, au lieu d’être plus riches.

Mais Bamps ignorait ces détails. Je lui proposai donc, comme je l’ai dit, de venir faire un tour dans nos propriétés.