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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/94

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

En trois mois !… j’avais bien le temps d’attendre trois mois !

Je sortis de chez Oudet désespéré.

En sortant de chez Oudet, je rencontrai un autre de mes amis, nommé Gondon.

C’était un de mes amis de chasse surtout. Il avait une propriété à trois lieues de Villers-Cotterets, — à Cœuvre, pays de la belle Gabrielle, — et bien souvent nous avions passé là des semaines entières à chasser le jour, et à braconner la nuit.

Chez lui, un soir, j’avais failli mourir de la façon la plus ridicule de la terre.

C’était la veille d’une ouverture. Nous étions partis de Vilers-Cotterets, cinq ou six chasseurs, et nous étions venus nous établir chez Gondon, afin d’être à portée de nous mettre en chasse au point du jour.

Or, comme il n’y avait ni assez de chambres ni assez de lits pour tout le monde, on avait transformé le salon en un dortoir, aux quatre angles duquel ou avait établi quatre lits, à l’aide de quatre matelas.

Les chandelles éteintes, la fantaisie prit à mes trois compagnons de se battre à coups de traversin.

Comme, je ne sais pourquoi, cette fantaisie ne me tenait pas comme les autres, je déclarai vouloir rester neutre.

Il en résulta qu’après un quart d’heure de combat entre les Autrichiens, les Russes et les Prussiens, — Autrichiens, Russes et Prussiens se firent alliés, et se réunirent pour tomber sur moi, qui représentais la France.

En conséquence, on se rua vers mon lit, et l’on se mit à me frapper avec les susdits traversins, comme, avec des fléaux, des batteurs en grange battent une gerbe.

Je tirai mon drap par-dessus ma tête, et j’attendis patiemment que l’orage fût passé, ce qui ne pouvait tarder, à la façon dont ils frappaient.

En effet, l’orage se calma.

Un des batteurs se retira, puis un autre.

Mais le troisième, qui était mon cousin Félix Deviolaine, soutenu sans doute par le sentiment de la parenté, continua de frapper malgré la retraite des autres.