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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/93

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

votre bonté infinie la moitié des faveurs que vous m’avez accordées.

Ma mère m’annonça donc que, toutes nos dettes payées, il nous restait deux cent cinquante-trois francs.

— Eh bien, dis-je à ma mère, tu vas me donner les cinquante-trois francs ; je partirai pour Paris, et, cette fois, je te promets de ne revenir que pour t’apporter une bonne nouvelle.

— Fais attention, mon pauvre enfant, dit ma mère, que c’est le cinquième de notre fortune que tu me demandes là.

— Tu te rappelles que tu me dois soixante francs ?

— Oui ; mais tu te rappelles que, lorsque je t’ai dit : « Avec quoi te rendrai-je ces soixante francs ? » tu m’as répondu : « Cela me regarde. »

— Eh bien, cela me regarde en effet. — Veux-tu me donner les Piranèses qui sont là-haut dans le grand carton ?

— Qu’est-ce que c’est que cela, les Piranèses ?

— Ce sont ces grandes gravures noires que mon père a rapportées d’Italie.

— Qu’en feras-tu ?

— J’en ai le placement.

Ma mère haussa les épaules d’un air de doute.

— Fais ce que tu voudras, dit-elle. Il y avait, parmi les employés du dépôt de mendicité, un architecte nommé Oudet, qui avait la plus grande envie d’avoir nos Piranèses.

Je les lui avais toujours refusées, en lui disant qu’un jour viendrait où je les lui apporterais moi-même.

Le jour était venu.

Seulement, le jour était venu un mauvais jour.

Oudet n’avait pas d’argent.

C’était concevable, Oudet, comme architecte du château, avait cent francs par mois.

Il est vrai que je n’étais pas bien exigeant pour mes Piranèses, qui valaient bien cinq ou six cents francs ;  je ne demandais que cinquante francs.

Oudet offrait de me payer ces cinquante francs en trois mois.