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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

chée à mes cheveux crépus, et me donnait un faux air de ressemblance avec Polichinelle.

Ce faux air devenait un air véritable par le degré de rougeur auquel la strangulation que je subissais avait fait monter mon visage.

On jugea qu’il était urgent de me donner de l’eau.

Un de nos compagnons, nommé Labarre, courut en chemise à la pompe, et tira un pot d’eau qu’il m’apporta en riant.

Cette hilarité, au moment où mes tortures arrivaient à leur paroxysme, m’exaspéra. Je pris le pot par l’anse, et j’en lançai le contenu au derrière de Labarre.

L’eau était glacée.

Il résulta de cette température, peu en harmonie avec la chaleur naturelle du sang, de telles gambades et de tels spasmes de la part de l’aspergé, que, malgré toutes mes douleurs, l’envie de rire que j’avais donnée fut retournée. Je fis un effort différent de ceux que j’avais tentés jusque-là, et j’expectorai une portion de la plume et du duvet qui m’obstruaient le pharynx.

Dès ce moment, je fus sauvé.

Néanmoins, je crachai de la plume pendant huit jours, et je toussai pendant un mois.

Je demande pardon de la digression ; mais, comme j’avais négligé d’inscrire cet important épisode de ma vie dans son ordre chronologique, on ne trouvera pas extraordinaire que j’aie saisi la première occasion qui s’est présentée de réparer cet oubli.

Je rencontrai donc Gondon en sortant de chez Oudet.

Il tenait cent francs dans sa main.

— Ah pardieu ! mon cher, lui dis-je, puisque vous êtes si riche, vous devriez bien prêter cinquante francs à Oudet.

— Pourquoi faire ?

— Pour qu’il m’achète mes Piranèses.

— Vos Piranèses ?

— Oui, je voulais partir pour Paris. Oudet m’avait offert de m’acheter mes Piranèses cinquante francs, et maintenant…