Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/112

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
109
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Ce n’est pas sous le ministère de M. de Martignac que l’art eût lu, à chaque pas qu’il eût essayé de faire : « Rue barrée, par ordre de l’autorité. »

Et quand on pense que voilà vingt ans que les mêmes hommes barrent les mêmes rues ; que, tandis que de vieux ils deviennent décrépits, nous, de jeunes nous devenons vieux ; qu’ils ont, à force de mauvais vouloirs et de persécutions, poussé Lamartine et Hugo dans la politique, Soulié et Balzac dans la tombe ; que je suis resté, à peu près seul, debout et luttant contre eux ; qu’ils ont inventé le timbre, comme ce cachet de Salomon qui enfermait les génies des Mille et une Nuits dans des vases de terre, et que toute cette compression politique et littéraire éclatera un jour à leur face, tuant et renversant tout autour d’eux sans les atteindre, nains accroupis qui tourmentent éternellement la cendre chaude des révolutions ?

Oh ! c’est qu’ils comprennent une chose ; c’est que, depuis vingt ans, leur politique est petite, mesquine, misérable ; qu’elle ne laissera de leurs noms chez les Allemands, chez les Hongrois, chez les Italiens, au bord du Nil comme sur les rives du Bosphore, à Mogador comme à Montevideo, dans le vieux monde comme dans le nouveau, qu’un triste et honteux souvenir ; c’est que, dans toute cette période écoulée entre le jour où M. Sébastiani est venu dire à la tribune : « L’ordre règne à Varsovie, » et M. Barrot au Moniteur : « Les Français sont entrés dans Rome, » ils ont menti, non-seulement à toutes les promesses faites par les hommes, — que ces promesses vinssent de M. de la Fayette ou de M. de Lamartine, — mais encore à toutes les espérances données par Dieu, par Dieu qui a fait de la France l’étoile polaire des nations, qui a dit aux peuples : « Vous voulez naviguer vers ce monde inconnu, vers cette terre promise qu’on appelle la liberté ; voilà votre boussole. Ouvrez toutes vos voiles, et voguez hardiment ! » Dites, au lieu de tenir cette parole des hommes, au lieu d’accomplir cette promesse de Dieu, qu’avez-vous fait, pauvres esclaves de la colère, pauvres ministres de l’aveuglement ? Vous avez fait la mer mauvaise et le vent contraire