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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/115

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Je m’inclinai et sortis.

Oh ! puissance du succès, bruits et rumeurs qui se font autour d’un nom, calme et sereine vengeance de l’intelligence sur la matière !

M. de Broval, M. Deviolaine, M. Oudard étaient enchantés ; le duc d’Orléans me faisait appeler dans sa loge pour me répéter un joli mot qu’il avait dit au roi ; enfin, madame la duchesse d’Orléans m’attendait le lendemain, pour me demander des nouvelles de ma mère !

Décidément, la naissance ne donne que les principautés ; c’est le talent qui donne les principats.

Le lendemain, je fis ma visite à la duchesse d’Orléans ; elle fut pour moi aussi bonne que possible ; mais, hélas ! pourquoi toute cette bonté arrivait-elle si tard ?

En rentrant, je trouvai sous enveloppe un journal dont j’ai oublié le nom ; il m’était envoyé par quelque ami chatouilleux de mon honneur.

Il annonçait le succès d’Henri III, et ajoutait :

« Ce succès, tout grand qu’il est, n’a rien d’étonnant pour ceux qui savent de quelle façon se font les tripotages littéraires et politiques dans la maison d’Orléans. L’auteur est un petit employé aux gages de Son Altesse royale. »

L’article était à la fois mensonger et blessant ; mensonger, en ce que, comme on sait, la maison d’Orléans n’avait rien tripoté en ma faveur ; blessant, en ce que, par le mot gages, l’auteur avait eu l’intention évidente d’assimiler un employé à un domestique.

Je regardai ma pauvre mère malade ; ne sachant pas ce que je lisais, elle essayait de traduire, en me souriant, les premières impressions de tendresse qui, en même temps que l’intelligence, rentraient dans son cerveau.

Et c’était juste à ce moment-là qu’on me forçait, — qui cela ? un homme que je n’avais jamais vu, que je ne connaissais pas, qui n’avait aucun motif de me haïr, — que cet homme me forçait de la quitter pour lui demander raison d’une injure aussi grossière que gratuite !

J’allai trouver de la Ponce, je le priai de passer au journal,