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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/148

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

au cœur des impuissants, des méchants et des envieux, qu’au cœur des gens de bien.

On s’attendait de jour en jour à une Saint-Barthélemy de classiques, et on félicitait ce pauvre M. Auger, qui venait de se tuer si tristement, d’avoir échappé au massacre général par le suicide.

La consternation était si grande, que le parti classique tout entier ne produisit qu’une pièce — qui tomba.

C’était Élisabeth d’Angleterre, de M. Ancelot.

Car nous n’appelons pas une pièce classique le Marino Faliero de Casimir Delavigne, si pompeusement baptisé du titre de mélodrame en vers.

Le choix même du sujet de Marino Faliero, l’imitation des principales scènes de Byron, était un double hommage au génie étranger et au goût moderne.

Casimir Delavigne, nous l’avons dit ailleurs, était né quinze ans trop tôt pour entrer franchement dans notre voie ; aussi son allure fût-elle éternellement empêchée, et flotta-t-il incessamment de Voltaire à Byron, de Chénier à Shakspeare, sans parvenir à prendre une allure à lui. Au reste, rien n’avait été négligé pour le succès de Marino Faliero. Les journaux avaient fait grand bruit de l’ingratitude de MM. les Comédiens français, et du passage de Ligier à la Porte-Saint-Martin. On annonçait que l’ouverture était de Rossini, et les costumes de M. Delaroche.

Or, M. Delaroche étant juste en peinture ce que Casimir Delavigne était en littérature, M. Delaroche jouissait, alors, comme Casimir Delavigne, d’une réputation trop grande pour qu’il ne la vît pas décroître, pâlir, s’éteindre presque de son vivant.

Donc, Rossini avait fait la musique ; donc, Delaroche avait fait les costumes.

La pièce fut représentée le 30 mai, et obtint un grand succès ; mais, chose étrange ! la part faite largement à l’auteur, le succès d’acteur ne revint ni à Ligier ni à madame Dorval ; il revint à Gobert, qui jouait le rôle d’Israël Bertuccio. L’ouvrage était, du reste, monté avec un luxe inouï, et