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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/152

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

avec la volonté qu’elle ignore le crime qu’elle a commis, le lui laisser à tout jamais ignorer.

On peut lui faire éprouver telle ou telle douleur à tel ou tel endroit : il suffira de la toucher à cet endroit-là du bout du doigt, du bout d’une canne, du bout d’une tringle en fer.

On peut lui faire éprouver une sensation de chaleur avec de la glace, une sensation de froid avec du feu ; on peut la griser avec un verre plein d’eau, et même avec un verre vide.

On peut lui mettre le bras, la jambe, tout le corps en catalepsie, le rendre dur et inflexible comme une barre de fer, mou et souple comme une écharpe.

On peut le rendre insensible à la pointe d’une aiguille, à la lame d’un bistouri, à la morsure d’un moxa.

Tout cela rentre, selon moi, dans le domaine des phénomènes physiques.

On peut même pousser le cerveau jusqu’à un degré d’exaltation qui fasse poëte un esprit ordinaire, qui donne à un enfant de douze ans les idées, les sensations et la façon de les exprimer d’une personne de vingt ou vingt-cinq.

Je fis un voyage en Bourgogne, en 1848. Dans la même voiture que ma fille et moi se trouvait une fort gracieuse femme de trente à trente-deux ans ; à peine avions-nous échangé quelques paroles ; il était onze heures du soir, et une des choses qu’elle m’avait dites, c’est qu’elle ne dormait jamais en voiture.

Dix minutes après, non-seulement elle dormait, mais encore elle dormait la tête appuyée sur mon épaule.

Je la réveillai : elle fut doublement étonnée, et de s’être endormie, et, une fois endormie, d’être venue chercher la position dans laquelle elle se retrouvait.

Je renouvelai l’expérience deux ou trois fois dans la nuit, et toujours elle réussit sans que j’eusse besoin de toucher ma voisine ; ma volonté suffit pour cela.

À un relais, au moment où la voiture était arrêtée et où l’on changeait de chevaux, je la réveillai brusquement en lui demandant l’heure qu’il était : elle ouvrit les yeux, et voulut tirer sa montre.