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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/163

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Votre fils, qui sera un de ses grands amis.

— Comment ! mon fils, un des grands amis du prince ?

— Oui, vous savez bien qu’il n’est pas de la même opinion que vous, votre fils ?

Nous nous regardâmes ; ma fille et moi, et nous nous mimes à rire. Alexandre et moi sommes en querelle éternelle à l’endroit de la politique.

— Et, alors, Henri V étant mort, Léon Ier montera sur le trône ?

— Oui, monsieur.

— Et qu’arrivera-t-il sous son règne ?

— Je ne vois pas plus loin ; réveillez-moi.

Je m’empressai de la réveiller ; elle ne se souvenait de rien une fois éveillée ; je lui fis quelques questions sur Lamartine, sur Ledru-Rollin, sur Grenoble, sur Henri V et sur Léon Ier.

Elle se mit à rire.

Je lui passai les deux pouces sur le front, avec volonté qu’elle se souvint, et elle se souvint à l’instant même ; je la priai de recommencer son récit, et elle le recommença, tellement fidèle, tellement dans les mêmes termes, que la personne qui avait écrit mes demandes et ses réponses à mesure qu’elle parlait, put collationner l’ancienne narration sur la nouvelle.

Depuis, et à plusieurs reprises, je renouvelai d’autres expériences sur cette enfant ; jamais chez elle, ou plutôt sur elle, la puissance magnétique n’eut de limites ; je la rendais muette, aveugle, sourde à volonté ; et, d’un mot, je lui rendais toutes ses facultés, et les poussais à un degré de perfection qui semblait dépasser les bornes des sens mortels.

Par exemple, on la plaçait au piano, — endormie ou éveillée, peu importait ; — elle commençait une sonate ; une des personnes présentes m’indiquait tout bas l’air qu’elle désirait que l’enfant jouât, au lieu de sa sonate : la sonate cessait à l’instant, et l’enfant, du moment que j’avais étendu la main vers elle, jouait l’air demandé.