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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/164

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Nous recommençâmes vingt fois cette expérience devant les plus incrédules, jamais elle ne manqua.

La maison du père de Marie était bâtie sur l’emplacement d’un ancien cimetière ; quelques inscriptions tumulaires se lisaient même sur les pierres du mur fermant le jardin ; il en résultait que, la nuit venue, la pauvre petite, tremblant de peur, n’osait plus faire un mouvement. Le soir de mon départ, madame D*** me parla de cette terreur, et mon influence sur l’enfant était telle, qu’elle me demanda si je n’y pouvais rien. J’étais tellement habitué à des miracles, que je répondis que c’était la chose du monde la plus facile, et que nous allions en faire l’expérience à l’instant même. En effet, j’appelai l’enfant ; je lui imposai les deux mains sur la tête avec la volonté de lui ôter toute crainte, et je lui dis :

— Marie, votre mère vient de me donner des pêches pour mon voyage ; allez me chercher, pour les envelopper, des feuilles de vigne dans le jardin.

Il était neuf heures du soir ; il faisait nuit noire ; l’enfant partit en chantant, revint en chantant ; elle rapportait des feuilles de vigne cueillies à l’endroit même où gisaient les pierres tumulaires qui lui faisaient si grande peur, même dans la journée.

Depuis ce moment, elle ne manifesta plus aucune hésitation à aller dans le jardin ou dans les autres parties de la maison, à quelque heure de la nuit que ce fût, et même sans lumière.

Je retournai à Auxerre, trois mois après ; je n’avais annoncé mon voyage à personne. Deux jours avant mon arrivée, on voulut arracher une dent à la petite Marie.

— Non, bonne mère, dit-elle, attends ; M. Dumas arrivera après-demain : il me tiendra le petit doigt, tandis qu’on m’arrachera ma dent, et, alors, je ne sentirai pas le mal.

J’arrivai le jour dit ; je mis la main de l’enfant dans la mienne, pendant l’opération, qui s’accomplit sans qu’elle parût éprouver aucune sensation de douleur.

Qu’on ne me demande pas l’explication des phénomènes que je raconte, il me serait impossible de la donner. J’affirme seulement que c’est la vérité.