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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/19

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Au reste, tous ces poëtes qui avaient échappé à l’œil de M. de Fontanes et à la munificence de Napoléon, leur jour était venu, leur heure était arrivée ; ils poussaient, blondissants et dorés comme les épis au mois d’août ; leurs noms commençaient, dans le présent, cet immense retentissement qu’ils devaient avoir dans l’avenir. Ils s’appelaient Lamartine, Hugo, de Vigny, Sainte-Beuve, Méry, Soulié, Barbier, Alfred de Musset, Balzac ; ils alimentaient déjà de leur sève ou plutôt de leur sang cette large et unique source de poésie à laquelle le xixe siècle tout entier, France, Europe et univers ; devait s’abreuver.

Mais le mouvement n’était pas seulement dans cette pléiade que je viens de nommer ; toute une milice combattait, concourant à une œuvre générale par des attaques particulières ; c’était à qui battrait en brèche la vieille poétique.

Dittmer et Cavé publiaient les Soirées de Neuilly ;

Vitet, les Barricades et les États de Blois ;

Mérimée, le Théâtre de Clara Gazul.

Et remarquez bien que tout cela était en dehors du théâtre ; en dehors des représentations, de la lutte réelle.

La lutte réelle, c’était moi et Hugo — je parle chronologiquement — qui allions l’engager.

Aussi, je m’y préparais, non-seulement en continuant ma Christine, mais encore en étudiant l’humanité tout entière à côté de l’individualité.

J’ai dit l’immense service que m’avaient rendu les acteurs anglais ; Macready, Kean, Young, étaient venus tour à tour compléter l’œuvre commencée par Kemble et miss Smithson.

J’avais vu Hamlet, Roméo, Shylock, Othello, Richard III, Macbeth ; j’avais lu, j’avais dévoré, non-seulement le répertoire de Shakspeare, mais encore tout le répertoire étranger ; j’avais reconnu que, dans le monde théâtral, tout émane de Shakspeare, comme, dans le monde réel, tout émane du soleil ; que nul ne pouvait lui être comparé ; car, venu avant tous les autres, il était resté aussi tragique que Corneille, aussi comique que Molière, aussi original que Calderon, aussi penseur que Gœthe, aussi passionné que Schiller. Je reconnus que ses