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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/197

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

puscule de sa première enfance, que le poëte fait allusion quand il dit :

Enfant, sur un tambour ma crèche fut posée ;
Dans un casque pour moi l’eau sainte fut puisée ;
Un soldat, m’ombrageant d’un belliqueux faisceau,
De quelque vieux lambeau d’une bannière usée,
Fit les langes de mon berceau.

Parmi les chars poudreux, les armes éclatantes,
Une muse des camps m’emporta, sous les tentes.
Je dormis sur l’affût des canons meurtriers ;
J’aimai les fiers coursiers aux crinières flottantes,
Et l’éperon froissant les rauques étriers.

Avec nos camps vainqueurs, dans l’Europe asservie,
J’errai ; je parcourus la terre avant la vie,
Et, tout enfant encor, des vieillards recueillis
M’écoutaient, racontant d’une bouche ravie
Mes jours si peu nombreux et déjà si remplis.

Je visitai cette île en noirs débris féconde,
Plus tard premier degré d’une chute profonde !
Le haut Cenis, dont l’aigle aime les rocs lointains,
Entendit, de son antre où l’avalanche gronde,
Ses vieux glaçons crier sous mes pas enfantins.

Vers l’Adige et l’Arno, je vins des bords du Rhône ;
Je vis de l’Occident l’auguste Babylone :
Rome, toujours vivante au fond de ses tombeaux,
Reine du monde encor sur un débris de trône,
Avec une pourpre en lambeaux.

Puis Turin ; puis Florence, aux plaisirs toujours prête ;
Naple, aux bords embaumés où le printemps s’arrête,
Et que Vésuve en feu couvre d’un dais brûlant,
Comme un guerrier jaloux qui, témoin d’une fête,
Jette, au milieu des fleurs, son panache sanglant !

Heureux, cent fois heureux qui peut broder de pareilles arabesques sur la trame naissante de sa vie !