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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/198

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Moi aussi, j’ai eu des souvenirs pareils aux tiens, frère ! mais je les ai dits en humble prose, heureux de les retrouver chez toi en vers splendides et retentissants.

Là, en effet, remontent les premiers souvenirs de l’enfant, souvenirs indélébiles qui se reflètent, comme un mirage des oasis perdues, dans la vieillesse la plus avancée.

Ainsi, bien souvent, à moi qui arrivais d’Italie, où j’ai fait quinze ou vingt voyages, Hugo, qui l’avait traversée seulement, cette belle Italie, parlait des grands aspects restés dans sa mémoire, et restés aussi présents que s’il eût été mon compagnon dans mes nombreuses courses !

Seulement, il voyait toujours les objets comme il les avait vus, non pas dans leur état normal, mais avec les accidents momentanés qui avaient produit dans ces objets des changements ou des altérations quelconques.

Parme lui apparaissait au milieu d’une inondation ; Aquapendente, détachant son rocher volcanique sur un orage tout plein d’éclairs : la colonne Trajane, avec l’excavation qu’on était occupé à pratiquer à l’entour.

De tout le reste, c’est-à-dire de Florence avec ses auberges crénelées, ses palais massifs, ses forteresses de granit ; de Rome avec ses fontaines jaillissantes, ses obélisques qui semblent en faire une ville contemporaine de la vieille Égypte, et sa colonnade du Bernin qui eu fait une sœur du Louvre ; de Naples avec ses promenades, son Pausilippe, sa rue de Tolède ; sa baie, ses îles et son Vésuve, il avait une idée aussi exacte que possible.

Une des choses qui avaient le plus amusé les trois enfants tout le long de la route, c’était de faire des croix avec des fétus de paille, et de les dresser dans les interstices que laissaient les glaces des portières avec leurs rainures. À la vue de ces calvaires innocents, les paysans italiens, ceux des environs de Rome surtout ; fidèles au culte des images, se mettaient à genoux, ou tout au moins faisaient le signe de la croix.

La chose qui avait le plus effrayé les jeunes voyageurs, c’étaient les têtes de bandit placées sur des bâtons, au bord des routes, et qui séchaient ainsi au soleil. Ces pauvres enfants