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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/199

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

avaient nié longtemps que ce fussent des têtes véritables, et soutenaient que c’étaient des têtes à perruque comme, au commencement de ce siècle, époque où les perruques étaient encore assez communes, on en trouvait sur leur pied chez tous les coiffeurs ; mais on les fit descendre, on leur montra de près l’affreuse réalité, et ce souvenir est un de ceux qui restèrent le plus profondément gravés dans la mémoire de Victor.

Quand il s’agit d’un homme comme Hugo, c’est-à-dire d’un génie hors ligne, qui a déjà joué et qui jouera encore un si grand rôle dans l’histoire littéraire et politique de son pays, c’est un devoir pour qui le connaît de mettre sous les yeux des contemporains et de l’avenir ces jeux d’ombre et de lumière qui ont fait le caractère de l’homme et le génie du poëte.

Le génie du poëte, nous l’espérons, ressortira tout entier de notre récit ; le caractère de l’homme ressort de lui-même, de la conduite tenue, des faits accomplis.

Ce n’était point à Naples qu’était préparé le logement de madame Hugo et de ses fils ; c’était à Avellino, capitale de la province dont le colonel Hugo avait été nommé gouverneur.

Ce logement était un palais, et même un palais de marbre, comme la plupart des palais de ce pays, où le marbre est plus commun que la pierre ; seulement, ce palais présentait une singularité étrange qui ne pouvait ni échapper à l’œil d’un enfant, ni sortir de sa mémoire.

Un de ces tremblements de terre si habituels dans la péninsule italienne venait de secouer la Calabre de fond en comble ; le palais de marbre d’Avellino avait été ébranlé comme les autres bâtiments ; toutefois, plus solide qu’eux sur sa base, après avoir tremblé, oscillé, menacé un instant, il était resté debout, mais lézardé des combles à ses fondations.

La lézarde passait en diagonale à travers la muraille de la chambre de Victor ; de sorte qu’il voyait à peu près aussi clairement — quoique d’une façon plus originale — la campagne à travers cette lézarde qu’à travers la fenêtre.

Le palais était bâti sur une espèce de précipice tout garni de gigantesques noisetiers, produisant ces énormes noisettes nommées avelines, du nom du pays d’où on les tire.