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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/235

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Le général attendit un instant pour voir si la porte ne se rouvrirait pas.

Au lieu de la porte, ce fut une fenêtre qui s’ouvrit.  Un canon de fusil se montra sournoisement ; un coup de feu se fit entendre, et une balle siffla. 

Au bruit du coup de feu, le détachement resté hors de la ville accourut.

Lorsque les soldats surent ce qui venait de se passer, ils voulaient démolir la sucrerie et brûler le village. 

Le général Hugo les arrêta.

Puis, s’adressant à son officier d’ordonnance :

— Cours au camp, lui dit-il, et invite de ma part les six mille hommes qui le composent à boire de l’eau sucrée ; ce sera une douceur, et il y a longtemps que les pauvres diables n’en ont eu !

Une des qualités de l’époque impériale était de comprendre vite, quand on voulait comprendre : l’aide de camp comprit, et partit au galop.

Les soldats aussi comprirent. Ils enfoncèrent les portes de la raffinerie, et jetèrent deux ou trois mille pains de sucre dans la rivière.

Pendant toute la journée, les six mille hommes du général Hugo eurent de l’eau sucrée à bouche que veux-tu !

Ce trait est resté dans les annales de l’armée d’Espagne comme une des galanteries les plus délicates qu’un général ait jamais faites à ses soldats.

Un autre jour, on était en marche, toujours sur les bords de ce même Tage, dans les vastes plaines de la Vieille-Castille, entre Tolède et Aranjuez.

C’était par un de ces soleils ardents qui faisaient si fort regretter à Sancho de n’avoir pas sous la main un bon fromage à la pie, quand, tout à coup, les éclaireurs rabattirent au grand galop sur l’avant-garde, et vinrent annoncer au général Hugo qu’un corps d’armée qui ne pouvait être qu’ennemi, et qui paraissait être considérable, marchait à l’encontre de l’armée française.

En effet, à l’horizon, on voyait s’élever un de ces nuages