Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/234

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
231
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Faites une croix sur votre ventre, et cela vous nourrira.

Les enfants faisaient force croix ; cela les réchauffait un peu, mais ne les nourrissait pas du tout.

Aussi soupçonnaient-ils don Manoel, qui restait gras au milieu de visages amaigris et attristés, d’avoir avec la cuisine des accointances illicites qui restaient cachées même à don Bazilio.

Pendant ce temps, le général Hugo tenait la campagne sur les bords du Tage, et faisait contre le fameux Juan Martin, surnommé l’Empecinado, ce qu’il avait fait en Vendée contre Charette, et en Calabre contre Fra Diavolo.

Lui-même a, d’une façon aussi modeste que savante, raconté stratégiquement cette belle campagne, qui finit par la capture et l’exécution du chef des guérillas qu’il poursuivait. Nous prendrons seulement les hasards pittoresques, ces lambeaux que l’histoire arrache de sa robe, et que les chroniqueurs ramassent précieusement pour leurs mémoires.

Un jour, le général Hugo arrive, avec une centaine d’hommes, près d’un village situé sur une des mille petites rivières qui affluent dans le Tage. Pour ne pas donner une alarme inutile, il entre dans le village avec deux aides de camp seulement, afin d’obtenir des habitants quelques renseignements dont il avait besoin.

Il venait de son camp, composé de cinq à six mille hommes à peu près, et situé une lieue au-dessous, en aval de la rivière.

Pour avoir ces renseignements qu’il désirait, il s’adresse au propriétaire d’une grande raffinerie de sucre, lequel, le voyant avec deux aides de camp seulement, reste complètement muet.

Le général Hugo avait soif. Ne pouvant avoir les renseignements, il désira au moins se rafraîchir, et demanda un verre d’eau.

— De l’eau ? dit le propriétaire de la raffinerie, il y en a à la rivière.

Et il ferma sa porte au nez du général.