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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/245

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Pendant qu’il écrivait Han d’Islande, — chose qui ne contribua pas médiocrement à la teinte de l’ouvrage, — Victor perdit sa mère.

Ce fut le premier deuil de son cœur ; seulement, il fut éternel.

Et, en effet, nous qui avons vu grandir l’enfant aux Feuillantines, à Avellino, au séminaire des Nobles, nous pouvons juger ce qu’était pour lui sa mère.

Aussi, dans un de ces moments de tristesse profonde où le cœur saignant cherche un entourage en harmonie avec son propre deuil, le jeune homme était allé à Versailles, la ville de toutes les tristesses et de tous les deuils.

Il avait déjeuné au café ; il tenait un journal à la main ; il ne lisait pas, il pensait.

Un garde du corps qui ne pensait pas, et qui voulait lire, lui prit ce journal des mains. — Blond et rose, Victor, à dix-neuf ans, en paraissait quinze.

Le garde du corps croyait avoir affaire à un enfant, il insultait un homme ; un homme qui se trouvait dans un de ces sombres moments de la vie où un danger devient une bonne fortune.

Aussi le jeune homme accepta-t-il la querelle qu’on lui cherchait, si grossière, si inutile qu’elle fût.

On se battit à l’épée, presque séance tenante ; Victor reçut un coup d’épée dans le bras.

Cet accident retarda de quinze jours l’apparition de Han d’Islande.

Par bonheur, ce cœur si profondément atteint avait, comme toute profonde nuit, son étoile ; comme tout abîme, sa fleur : — il aimait !

Il aimait avec passion une jeune fille de quinze ans avec laquelle il avait été élevé ; mademoiselle Fouché.

Il épousa cette jeune fille. — C’est aujourd’hui la femme dévouée qui suit le poëte dans son exil.

Han d’Islande, vendu mille francs, fut la dot des époux, qui avaient trente-cinq ans à eux deux.

Les témoins du mariage furent Alexandre Soumet et Alfred