Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/246

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
243
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

de Vigny poëtes eux-mêmes, débutant eux-mêmes dans l’art et presque dans la vie.

Le premier volume de poésies publié sur ces entrefaites par Victor, imprimé chez Guiraudet, rue Saint-Honoré, 335, et vendu chez Pélissier, place du Palais-Royal, rapporta neuf cents francs.

De ces neuf cents francs, le poëte acheta le premier châle qu’il donna à sa jeune femme.

D’autres femmes, des femmes de banquier ou de prince ont eu des cachemires plus beaux que celui-là, madame ! nulle n’a eu tissu plus précieux, étoffe plus magnifique !

Le succès de ce premier volume fut immense. Je me rappelle en avoir reçu le contre-coup en province.

Le premier volume de Lamartine, Méditations poétiques, avait paru en 1820. C’était un succès gigantesque et mérité qu’il fallait, autant que possible, étouffer par un succès rival.

Par hasard, cette fois, le succès rival était un succès égal. Les deux succès marchèrent de front, se donnant la main, s’appuyant l’un sur l’autre.

On ne parvint pas plus, alors, à brouiller les deux poëtes, quelque différence qu’il y eût dans leur manière, qu’on ne parvint, trente ans plus tard, à brouiller les deux hommes politiques, quelque différence qu’il y eût dans leur opinion.

La noce s’était faite chez M. Fouché, le père de la fiancée, qui habitait l’hôtel du conseil de guerre.

Le repas avait eu lieu dans la salle même où avait été condamné — coïncidence étrange et à laquelle nous reviendrons tout à l’heure — le général la Horie, parrain de Victor.

Han d’Islande, que nous avons fort injustement abandonné, avait eu un succès de curiosité au moins égal au succès de ses fraîches et blondes sœurs les Odes. Seulement, Han d’Islande ne portait pas de nom d’auteur, et il était impossible de deviner que cette poignée de lis, de lilas et de roses qu’on appelait Odes et Ballades, fût poussée à l’ombre de ce chêne sombre et rugueux qu’on appelait Han d’Islande.

Nodier avait lu Han d’Islande, et en avait été émerveillé.

— Bon et cher Nodier ! qu’on trouve près de tout ce qui