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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/280

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

tourmenter ainsi : si l’on siffle pendant la scène, ce ne sera pas moi qu’on sifflera, puisque je ne dis pas un mot… Voyons, Michelot ; voyons, Joanny, continuons.

Roi don Carlos, vous êtes
Un mauvais roi !…

La, vous êtes content, n’est-ce pas, monsieur Hugo ?

— Très-content, madame.

Et, avec son imperturbable sérénité, Hugo saluait et s’asseyait.

Le lendemain, mademoiselle Mars arrêtait la répétition au même endroit, s’avançait sur la rampe, mettait sa main sur ses yeux, et, de la même voix que la veille :

— M. Hugo est-il là ? demandait-elle.

— Me voici, madame.

— Eh bien, avez-vous trouvé à me faire dire quelque chose ?

— Où cela ?

— Mais vous le savez bien… dans la fameuse scène où ces messieurs disent cent cinquante vers, tandis que je les regarde et que je me tais… Je sais qu’ils sont charmants à regarder ; mais cent cinquante vers, c’est long !

— D’abord, madame, la scène n’a pas cent cinquante vers ; elle n’en a que soixante et seize, je les ai comptés ; puis je ne vous ai pas promis de vous faire dire quelque chose, puisque, au contraire, j’ai essayé de vous prouver que votre silence et votre immobilité, dont vous sortez par un éclat terrible, étaient une des beautés de cette scène.

— Des beautés ! des beautés !… J’ai bien peur que le public ne soit pas de votre avis.

— Nous verrons.

— Oui, mais il sera un peu tard quand vous verrez… Ainsi, vous tenez bien décidément à ce que je ne dise pas un mot de toute la scène ?

— J’y tiens.

— Ça m’est égal ; j’irai au fond, et je laisserai ces messieurs causer de leurs affaires sur le devant de la scène.