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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/305

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

temédiaire qu’avaient été liées les négociations échouées en 1798 entre les Bourbons et l’ancien directeur.

Fauche-Borel était donc en retard. Au rôti, il arrive attendri, les yeux humides, un mouchoir à la main.

— Enfin, vous voilà, mon cher Fauche-Borel, dit Barras ; pourquoi donc ce retard ?

— Ah ! citoyen général, demandez-moi plutôt d’où vient mon émotion.

— Eh bien, mon cher Fauche-Borel, je vous demande d’où vient votre émotion.

— Oh ! général, le spectacle le plus touchant ; le plus attendrissant, le plus exemplaire… Imaginez-vous que j’arrive des Tuileries…

— Ah ! ah !… Et c’est là que vous avez vu ce spectacle touchant, attendrissant, exemplaire ?… Vous avez eu du bonheur, mon ami, et vous êtes tombé au bon moment ! — Voyons, racontez-nous ce que vous avez vu, que nous soyons à notre tour touchés, attendris, édifiés.

— Figurez-vous, citoyen général, que M. le duc de Bordeaux avait, dans le grand salon où il jouait ; répandu de l’eau sur le parquet…

— Vraiment !

— Et que le duc de Damas lui a dit : « Monseigneur, vous avez fait du gâchis sur le parquet ; j’en suis désespéré, mais vous le balayerez. — Comment, je le balayerai ! a répondu le jeune prince ; est-ce qu’il n’y a pas des balayeurs ici ? — Il y en a ; mais, cette fois, comme le gâchis a été fait par Votre Altesse, c’est Votre Altesse qui le balayera… Allez chercher un balai ! » a dit le duc à un laquais ; et, comme celui-ci hésitait : « Je vous l’ordonne ! » a-t-il ajouté. Cinq minutes après, le domestique est arrivé avec un balai. Son Altesse a versé beaucoup de larmes ; mais M. de Damas a tenu bon, et monseigneur a été obligé de balayer lui-même le gâchis qu’il avait fait ! — Que dites-vous de cela, citoyen général ?

— Je dis, répondit Barras avec ce ton railleur qui lui était habituel, que le gouverneur de M. le duc de Bordeaux fait bien