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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/306

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

d’apprendre un état à son élève ; au train dont y vont ses nobles parents, il en aura bientôt besoin !

Une autre fois, — c’était toujours à table, — un illustre général, homme de guerre éminent, homme d’esprit remarquable, et qui était, alors, ambassadeur à Constantinople, racontait avec amertume une scène de la Révolution.

Par hasard, il avait derrière lui Courtaud, ce valet de chambre, cet intendant, cet ami de Barras ; l’homme au franc parler.

Celui-ci étend la main, et touche le général à l’épaule juste au beau milieu de son récit.

— Général, dit-il, je vous arrête… Ce que vous racontez ne s’est point passé comme vous le dites : vous calomniez la Révolution !

Le général, indigné, se tourne vers Barras, comme pour en appeler à lui de la familiarité d’un laquais.

Mais Barras :

— Messieurs, Courtaud a raison ! — Raconte l’aventure comme elle s’est passée, Courtaud ; rétablis les faits, et donne une leçon d’histoire à M. l’ambassadeur.

Et Courtaud, à la grande satisfaction de Barras, et au grand ébahissement de la société, raconta les faits comme ils s’étaient passés.

À l’époque où Walter Scott était venu à Paris pour y chercher des documents sur le règne de Napoléon, dont il se proposait d’écrire l’histoire, Barras, qui avait des documents précieux à lui communiquer, désira le voir, et pria Cabarrus — qui sait sa Révolution comme Courtaud, mais qui la raconte mieux que celui-ci, n’en déplaise à la mémoire du citoyen général Barras, — d’inviter le célèbre romancier à venir dîner chez lui. Cabarrus commença par avoir une longue conversation avec Walter Scott, lequel, sachant qu’il avait affaire au fils de madame Tallien, causa beaucoup de tous les événements dans lesquels la mère de Cabarrus avait joué un rôle ; enfin, le messager aborda le véritable objet de sa visite, et transmit au poëte écossais l’invitation de Barras.

Mais Walter Scott secoua la tête.