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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/36

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

qu’à la haine : je l’avais forcé d’attendre jusqu’à six heures que j’eusse écrit la dernière ligne.

Jamais je n’avais écrit si vite et si bien.

Je relus tout à deux fois, tremblant d’avoir fourré dans mes rapports quelques vers de Christine.

Ils étaient, comme d’habitude, purs de toute poésie.

Je les remis à Féresse, qui s’en alla, grognant comme un ours, les porter sur le bureau de M. Fossier.

Puis je revins près de ma pauvre mère, tout émotionnée et toute tremblante du grand événement qui venait de signaler cette journée.

C’était le 30 avril 1828.

Je passai la soirée, la nuit et la matinée du lendemain à refaire un autre manuscrit.

À dix heures, en arrivant à l’administration, je trouvai Féresse sur la porte de sa loge. Il m’y attendait depuis huit heures du matin, quoiqu’il sût bien que je n’arriverais qu’à dix.

— Ah ! vous voilà, dit-il ; vous avez donc fait une tragédie, vous ?

— Qui vous a dit cela ?

— Tiens, parbleu ! c’est le journal.

— Le journal ?

— Oui, lisez plutôt.

Et il me passa, en effet, un journal sur lequel je lus les lignes suivantes :

« Aujourd’hui, le Théâtre-Français a reçu, par acclamation et à l’unanimité, une tragédie en cinq actes, en vers, d’un jeune homme qui n’a encore rien fait.
xxx » Ce jeune homme appartient à l’administration de M. le duc d’Orléans, qui lui a aplani toutes les difficultés, et qui l’avait fortement recommandé au comité de lecture. »

On voit avec qu’elle exactitude la presse quotidienne débutait sur mon compte ; depuis ce temps, la tradition ne s’est pas perdue.