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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/37

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Néanmoins, tout inexacte qu’elle était dans ses détails, la nouvelle était vraie au fond ; elle venait de circuler de corridor en corridor, et d’étage en étage. C’étaient, de bureaux à bureaux, des allées et des venues, comme si madame la duchesse d’Orléans fût accouchée de deux jumeaux. Je reçus des compliments de tous mes collègues, les uns sincères, les autres goguenards ; il n’y eut que mon chef de bureau dont je n’aperçus pas même le bout du nez. En revanche, comme il m’envoya de la besogne quatre fois plus que d’habitude, il était évident qu’il avait lu le journal.

M. Deviolaine arriva à deux heures. À deux heures cinq minutes, il m’envoyait chercher.

J’entrai chez lui, le nez en l’air, la main sur la hanche.

— Ah ! te voilà, farceur ! me dit-il.

— Oui, me voilà.

— C’était donc pour faire des fredaines que tu m’avais demandé congé, hier ?

— Ma besogne en a-t-elle souffert ?

— Ce n’est point là la question.

— Si fait, monsieur Deviolaine, c’est là toute la question, au contraire.

— Mais tu n’as donc pas vu qu’ils se moquaient de toi ?

— Qui cela ?

— Les comédiens.

— En attendant, ils ont reçu ma pièce.

— Oui ; mais ils ne la joueront pas…

— Ah ! par exemple !

— Et puis, quand ils la joueraient, ta pièce…

— Eh bien ?

— Il faudra encore qu’elle plaise au public.

— Pourquoi voulez-vous qu’elle ne plaise pas au public, puisqu’elle a plu aux comédiens ?

— Allons donc ! tu vas me faire accroire que toi, avec ton éducation à trois francs par mois, tu réussiras, quand des gens comme M. Viennet, comme M. Lemercier, comme M. Lebrun, tombent à plat ?… Allons donc !