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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/54

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

parle, — les paysans n’hésitaient pas à le tuer, bien sûrs qu’il était sauvé ; plusieurs évitèrent la mort en se refusant à la confession, et en disant qu’ils n’étaient pas encore en état de grâce ; l’un d’eux fut épargné parce qu’il était protestant, et ne pouvait se confesser. Ils craignirent de le damner. 

» L’histoire a été bien dure pour les malheureux patriotes qu’égorgeaient les Vendéens ; beaucoup d’eux montrèrent une foi héroïque, et moururent martyrs. On compte par centaines ceux qui se firent tailler en pièces. Je citerai, entre autres, un garçon de seize ans, qui, sur le corps de son père mort, cria : Vive la nation ! jusqu’à ce qu’il eût été percé de vingt baïonnettes. De ces martyrs, le plus célèbre est Sauveur, officier municipal de la Roche-Bernard, disons mieux, de la Roche-Sauveur : elle eût dû conserver ce nom.

» Cette ville, qui est le passage entre Nantes et Vannes, fut attaquée, le 16, par un rassemblement immense, d’environ six mille paysans ; elle avait à peine quelques hommes armés ; il fallut se rendre, et les furieux, sous prétexte d’un fusil parti en l’air, égorgèrent tout d’abord vingt-deux personnes sur la place. Ils foncent dans la maison de ville, et trouvent le procureur syndic Sauveur, magistrat intrépide, qui n’avait pas quitté son poste. On le saisit, on le traîne ; mis au cachot, il en est tiré, le lendemain, pour être barbarement massacré. Il essuya je ne sais combien de coups d’armes de toute espèce, surtout des coups de pistolet : on tirait à petit plomb ; on voulait lui faire crier : Vive le roi ! il criait. Vive la République ! De fureur, on lui tirait des coups à poudre dans la bouche ; on le traîna au Calvaire pour faire amende honorable ; il leva les yeux au ciel, adora ; mais, en même temps, cria : Vive la nation ! Alors, on lui fit sauter l’œil gauche d’un coup de pistolet. On le poussa un peu plus loin ; mutilé, sanglant, il restait debout les mains jointes, regardant le ciel. 

» — Recommande ton âme à Dieu ! crient les assassins. 

» On l’abat d’un coup de feu : il tombe, mais se relève, serrant et baisant encore sa médaille de magistrat. Nouveau coup de feu : il tombe sur un genou, se traîne jusqu’au bord d’un fossé dans une tranquillité stoïque ; pas une plainte ! pas