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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/60

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

taient : l’un, une madame de Montespan ; l’autre, une madame de Sévigné ou de Grignan, je ne sais plus bien.

Le long des murailles, couvertes d’un de ces papiers qui ne laissent aucune trace dans la mémoire, un ameublement en velours d’Utrecht offrait aux amis de la maison ses grands canapés à bras blancs et maigres comme des bras de bossu, et aux étrangers, plus cérémonieux, ses chaises et ses fauteuils.

Cet étage avait son roi et sa vice-reine.

Le roi, c’était M. Villenave ; la vice-reine, c’était madame Waldor.

Nous disons « vice-reine, » parce que, aussitôt que M. Villenave entrait dans son salon, il en redevenait le maître, le roi ! plus que le roi, le despote !

M. Villenave avait quelque chose de tyrannique dans le caractère, et cette tyrannie s’étendait de sa famille aux étrangers. Comme ces petits princes d’Italie dont il faut adopter les principes dès qu’on a franchi les limites de leur maigre territoire, une fois qu’on avait franchi le seuil de son salon, M. Villenave ne permettait pas que l’on eût, sur quelque chose que ce fût, une autre opinion que la sienne. On devenait une partie de la propriété de cet homme, qui avait tout vu, tout étudié, qui savait tout enfin. Cette tyrannie, quoique tempérée par la courtoisie du maître de la maison, pesait néanmoins d’une façon gênante sur l’ensemble de la société. Peut-être, en présence de M. Villenave, la conversation était-elle « bien menée, » comme on disait autrefois ; mais, à coup sûr, elle était moins amusante, moins libre, moins spirituelle que lorsqu’il n’y était pas.

Il y avait la différence qui existe entre la danse du menuet et le jeu des quatre coins.

C’était tout le contraire du salon de Nodier : plus Nodier était chez lui, plus chacun était chez soi.

Cela me rappelle que je n’ai point reparlé de Nodier, depuis le jour où je l’ai montré m’ouvrant les portes du Théâtre-Français. — Bon et cher Nodier ! grand ami de mon cœur ! soyez tranquille ; vous ne perdrez rien pour attendre.