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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/82

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

La seule armoire que j’eusse dans mon bureau, — bureau si ardemment convoité, on s’en souvient, — était commune à Féresse et à moi : j’y mettais mon papier ; il y mettait ses bouteilles. Un jour, soit pour me faire une niche, soit pour constater la supériorité de ses droits sur les miens, il emporta la clef de cette armoire, en allant faire une course. J’usai en son absence le reste du papier qui se trouvait dans mon bureau, et, comme j’avais encore trois ou quatre rapports à expédier, je montai à la comptabilité pour en prendre quelques feuilles.

Un volume d’Anquetil se trouvait égaré sur un bureau ; il était tout ouvert ; j’y jetai machinalement les yeux, et je lus, à la page 95, les lignes suivantes :

« Quoique attaché au roi, et, par état, ennemi du duc de Guise, Saint-Mégrin n’en aimait pas moins la duchesse, Catherine de Clèves, et on dit qu’il en était aimé. L’auteur de cette anecdote nous représente l’époux indifférent sur l’infidélité réelle ou prétendue de sa femme. Il résista aux instances que les parents lui faisaient de se venger, et ne punit l’indiscrétion ou le crime de la duchesse que par une plaisanterie. — Il entra, un jour, de grand matin, dans sa chambre, tenant une potion d’une main et un poignard de l’autre ; après un réveil brusque suivi de quelques reproches : « Déterminez-vous, madame, » lui dit-il d’un ton de fureur, « à mourir par le poignard ou par le poison ! » En vain demande-t-elle grâce, il la force de choisir ; elle avale le breuvage et se met à genoux, se recommandant à Dieu, et n’attendant plus que la mort. Une heure se passe dans ces alarmes ; le duc, alors, rentre avec un visage serein, et lui apprend que ce qu’elle a pris pour du poison est un excellent consommé. Sans doute cette leçon la rendit plus circonspecte par la suite. »

J’eus recours à la Biographie ; la Biographie me renvoya aux Mémoires de l’Estoile. J’ignorais ce que c’était que les Mémoires de l’Estoile ; je m’informai à M. Villenave, qui me les prêta.

Les Mémoires de l’Estoile, tome I, page 35, contiennent ces lignes :