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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/87

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

chargea de demander lecture pour moi, et de hâter cette lecture.

En attendant, il réunirait, si je voulais, ses camarades chez lui, et je ferais une lecture qui précéderait la lecture définitive au Théâtre-Français.

J’étais enivré de mon succès ; j’aurais lu cinquante fois, si l’on m’eût demandé cinquante lectures. Je me remis entre ses mains, et lui dis de faire comme il voudrait.

En sortant, Lassagne me prit par le bras.

— Mon ami, me dit-il, après Christine, vous n’aviez qu’à moitié raison ; après Henri III, vous avez raison tout à fait.

Firmin fixa la lecture au jeudi suivant ; Béranger devait y assister.

Vous comprenez la portée de ce mot : « Béranger devait y assister ! »

Béranger était l’homme de l’époque ; Benjamin Constant venait de dire de lui :

— Ce bon Béranger, il croit faire des chansons, et il fait des odes !

Le mot avait été répété, trouvé ravissant d’exactitude, et tout le parti libéral avait acclamé Béranger le plus grand poëte de l’époque.

Un peu de persécution était arrivé par là-dessus, et avait porté l’enthousiasme au comble.

Je ne veux pas dire, entendons-nous bien, que l’on fût trop bienveillant pour Béranger ; je veux dire qu’on était un peu injuste pour les autres.

Et, par les autres, j’entends Lamartine et Hugo.

Eux aussi faisaient des odes, des odes admirables même, et peu s’en fallait qu’on ne dît qu’ils ne faisaient pas même des chansons.

C’est qu’alors, Lamartine et Hugo représentaient purement et simplement le parti royaliste, et que le parti royaliste était loin de représenter l’opinion de la majorité.

Or, ce n’était pas pour Béranger simple poëte qu’était l’enthousiasme populaire ; c’était pour Béranger poëte national ; pour Béranger auteur du Vieux Drapeau, pour Béranger au-