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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/96

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

trois quarts de mes gratifications, le tableau de répartition parut apportant à chacun, excepté à moi, sa part de la munificence de Son Altesse royale.

Ce n’était pas un simple oubli comme j’aurais pu le craindre, — oubli qui eût été on ne peut plus humiliant pour moi ; — non, la chose avait été débattue, plaidée, résolue, et Son Altesse royale avait daigné écrire, en face de mon nom, et de sa propre main :

« Supprimer les gratifications de M. Alexandre Dumas, qui s’occupe de littérature. »

Au reste, l’administration était séparée en deux camps à cause de moi. Quelques-uns avaient bravement pris parti pour la littérature contre la bureaucratie. Au nombre de mes défenseurs étaient le petit papa Bichet, qui, la tête montée par M. Pieyre et par M. Parseval de Grandmaison, soutenait que j’irais loin… pas si loin que Piron, bien entendu ; mais, enfin, que je ferais parler de moi.

Les autres étaient Lassagne, Lamy ; secrétaire de mademoiselle Adélaïde, le fils du directeur de la comptabilité Jamet, que son admiration pour les acteurs anglais, et surtout pour une charmante actrice anglaise, avait rallié au parti romantique, et quelques autres qui, trop dépendants par leur position, n’osaient me manifester leur sympathie qu’à demi-voix.

Oudard était resté neutre.

N. Deviolaine était chancelant ; tout ce bruit qui se faisait autour de mon nom l’avait ébranlé. Aurais-je raison contre tout le monde, et, malgré mon éducation à trois francs par mois, réussirais-je où tant d’autres avaient succombé ?

De temps en temps, il exprimait ce doute, et presque toujours il achevait sa période dubitative par ces mots :

— Le b… est assez entêté pour cela !

La représentation, remise de jour en jour, comme cela arrive habituellement au théâtre, était, enfin, fixée au 11 février.