Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 6.djvu/10

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
7
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

permettaient pas de soupçonner ; — je tiens ma promesse.

En 1835, j’entrepris avec Jadin un voyage en Italie. Notre intention était de faire ce voyage en véritables touristes, c’est-à-dire à pied, à cheval, à mulet, en voiturin, en corricolo, en speronare, en barque, comme nous pourrions enfin.

Nous résolûmes de sortir de France par ce que l’on appelle la rivière de Gênes ; en conséquence, nous prîmes à Hyères une espèce de voiturin qui devait, moyennant cent francs, nous conduire à Nice en passant par le golfe Juan, où nous aurions la faculté de nous arrêter une demi-journée, mon intention étant de prendre, pour le faire graver plus tard, un dessin de la plage où Napoléon avait débarqué en 1815.

De son côté le vetturino avait le droit de nous adjoindre quatre personnes, à la condition que ces personnes ne pourraient s’opposer à une première station de cinq ou six heures à Cannes, et à une seconde station à Grasse.

Au nombre des voyageurs qui nous accompagnaient était un jeune homme de vingt-quatre ou vingt-cinq ans, vêtu d’un frac bleu, d’un pantalon de nankin, de bas de couleur et de souliers lacés.

Dans mes Impressions de voyage, je lui ai donné le nom de Chaix ; dans mes Mémoires, je dois rétablir son véritable nom : il s’appelait Louët.

Pendant un jour et demi, il ne nous adressa point la parole ; seulement, notre conversation paraissait l’intéresser énormément ; à toutes les drôleries, il souriait, et aux rares choses sérieuses que nous disions, il écoutait sérieusement.

À table, son couvert était toujours à côté des nôtres ; à la première couchée, il s’arrangea de manière à n’être séparé de nous que par une cloison.

Arrivés au golfe Juan, nous nous arrêtâmes, et, tandis que Jadin faisait son dessin, je me jetai à l’eau, et me baignai.

Au moment où je me déshabillais, Louët s’approcha de moi, et, m’adressant pour la première fois la parole, me demanda la permission de se baigner avec moi.

Je ne distinguai pas, d’abord, dans cette demande tout ce qu’elle avait de religieusement poli, et lui répondis en riant