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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 6.djvu/11

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

qu’il était parfaitement libre de faire ce qu’il voudrait. Il me remercia de la permission, et prit, dans trois pieds et demi d’eau, le plus raisonnable et le moins mouvementé des bains que j’aie vu prendre ; puis, le dessin fait, le bain pris, nous remontâmes en voiture, et, le même jour, nous allâmes coucher à Nice.

Trois de nos compagnons nous avaient déjà quittés, l’un à la hauteur de Draguignan, les deux autres à Grasse. Louët seul nous était resté fidèle jusqu’à Nice, et cela m’étonnait d’autant plus que je l’avais entendu dire aux gens qui l’avaient accompagné à la voiture, et cela au moment de se séparer d’eux, qu’il partait pour Paris.

Or, il fallait que Louët fit une bien large application du proverbe « Tout chemin mène à Rome, » pour se faire illusion à ce point de croire que le chemin de Toulon à Nice le mènerait à Paris.

Cette singularité de notre compagnon de voyage, laquelle singularité nous préoccupait, Jadin et moi, nous fut enfin expliquée par une demande que le vetturino nous fit au nom de Louët, qui n’osait pas nous la faire lui-même.

Louët était, en effet, parti de Toulon pour se rendre à Paris ; mais, en route, le charme de notre conversation l’avait tellement séduit, qu’au lieu de venir jusqu’au Luc, et de gagner, de là, Draguignan et Castellane, il avait annoncé au vetturino que, n’ayant jamais vu Nice, il pousserait jusque-là.

Arrivant à Nice, il nous faisait demander, comme une grande faveur, de permettre qu’il continuât de voyager avec nous, s’empressant de nous faire savoir que sa compagnie ne nous serait nullement à charge, et qu’il supporterait, quel qu’il fût, le tiers de la dépense ; le vetturino ajouta, en manière de parenthèse, que Louët, qu’il connaissait, venait d’hériter d’une trentaine de mille francs ; il retournait à Paris avec cet héritage lorsqu’il nous avait rencontrés, et, nous ayant rencontrés, il ne voyait pas un meilleur emploi à donner à une partie de son argent que de le dépenser en notre société.

La demande était faite avec tant de gracieuse instance, Louët paraissait lui-même être, un si digne garçon, que nous n’eû-