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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 6.djvu/105

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

d’une religieuse et le concours de deux de ses amis, Fabre et Corbière.

Quant à Charles Teste, que nous avons tous connu, il avait, lui aussi, établi, sur la place de la Bourse, une librairie que l’on appelait, à cause des opinions de ceux qui la fréquentaient, du nom expressif de Petite-Jacobinière.

Charles Teste était un des hommes les plus dignes, un des caractères les plus nobles qu’on pût rencontrer. Pauvre, il était brouillé avec ses frères riches. Pendant tout le règne de Louis-Philippe, il ne voulut rien être, et vécut Dieu sait comment et de quoi ! Le jour où son frère fut condamné par la cour des pairs, il se mit à sa disposition, devint son soutien, son appui, son consolateur. Puis, après la révolution de 1848, tous ses anciens amis arrivés au pouvoir, il refusa de nouveau les places qui lui étaient offertes, et ne demanda d’autre faveur que la translation de son frère, de la prison où il était, dans une maison de santé.

Charles Teste est mort, il y a, je crois, dix-huit mois ou deux ans. Le jour où il rendit le dernier soupir, la France perdit un de ses grands citoyens.

Je me fis conduire passage Dauphine.

Cavaignac y avait apparu, mais il était parti avec Bastide ; on les croyait tous deux à la Petite-Jacobinière.

Je renvoyai mon cabriolet ; j’avais une visite à faire rue de l’Université, no 7. Là, je n’avais pas pu établir un cordon sanitaire comme chez ma mère ; là, on savait tout. Je promis de regarder les choses en amateur, de ne me mêler de rien, et, moyennant cette promesse, on me laissa sortir.

Il y avait un grand rassemblement rue de Beaune, chez un pharmacien nommé Robinet ; le rassemblement se composait d’électeurs et de gardes nationaux du 10e et du 11e arrondissement.

On ne demandait pas mieux que de marcher, mais personne n’avait d’armes.

— Pas d’armes ? dit Étienne Arago en entrant. Si vous n’avez pas d’armes, il y en a chez les armuriers !

On connaissait, au National et à la Petite-Jacobinière, la