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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 6.djvu/115

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Carrel lui tendit la main.

— Ah ! c’est vous, Charras ? lui dit-il.

— Oui, bien… Je vous cherchais.

— Pour quoi faire ?

— Pour vous demander où l’on se bat.

— Est-ce qu’on se bat ? dit Carrel.

— Mordieu ! je le crois bien ! dit Charras. N’importe, je n’aurais jamais cru qu’il fût si difficile de se faire casser la tête… Depuis hier au soir, je cours pour cela, et je n’en puis pas venir à bout !

Charras, l’un des plus braves officiers de l’armée d’Afrique, un des plus loyaux caractères de la révolution de 1848, avait été, vers le commencement de l’année 1830, chassé de l’École polytechnique pour avoir, dans le même dîner, chanté la Marseillaise, et crié : « Vive la Fayette ! » L’une de ces deux choses eût bien suffi à motiver son expulsion ; mais, comme on ne pouvait le chasser deux fois, on se contenta de le chasser une bonne.

Depuis cette époque, il demeurait rue des Fossés-du-Temple, 38, chez Fresnoy, l’acteur, qui tenait un hôtel meublé, et qui était en même temps directeur du Petit-Lazari, théâtre de marionnettes que la protection de son locataire changea, huit jours après la révolution de juillet, en théâtre de personnages parlants.

Dès le 26, Charras avait pensé au rôle que pouvaient jouer ses anciens compagnons, les élèves de l’École, dans une insurrection. En conséquence, il s’était immédiatement mis en communication avec eux, et, le 27, il leur avait fait passer les journaux de l’opposition qui avaient paru, c’est-à-dire le Globe, le Temps et le National.

L’imprimeur du Courrier français avait refusé ses presses : le Constitutionnel et les Débats n’avaient point osé paraître.

À deux heures, les élèves gradés, sergents et sergents-majors, qui avaient le droit de sortie, s’étaient jetés dans les rues, avaient parcouru tous les quartiers en effervescence, et étaient rentrés à l’École en disant, d’après ce qu’ils avaient