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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 6.djvu/140

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

faire son deuil : il avait disparu, comme Romulus dans la tempête, comme Curtius dans le gouffre, comme Empédocle dans le volcan !

Charras se demanda alors à quelle chose peut être utile un homme qui n’a pas de fusil, et qui ne sait où s’en procurer un.

Une bande de patriotes désarmés comme lui sembla passer là tout exprès pour répondre à sa question.

— Eh ! citoyen, dit un des hommes de la bande, viens-tu sonner le tocsin à Saint-Séverin avec nous ?

— Soit ! dit Charras, à qui il était égal d’aller à droite ou à gauche, pourvu qu’il allât quelque part où il pût être utile à la cause.

Et il alla à Saint-Séverin.

Les portes étaient fermées ; on frappa à toutes, depuis les grandes jusqu’aux petites, depuis la porte des mariages et des baptêmes jusqu’à la porte des derniers sacrements.

En pareil cas, les décisions sont promptes : on décida d’enfoncer les portes, puisque les portes ne voulaient pas s’ouvrir ; on arracha une poutre d’une maison en construction, et douze hommes portant cette poutre la transformèrent en bélier.

Au troisième coup de tête que la gigantesque machine donna dans la porte, serrures et verrous sautèrent. 

Le sacristain accourut et acheva d’ouvrir la porte, qu’un quatrième coup allait enfoncer.

La porte ouverte, la cloche mise en branle, Charras n’avait plus rien à faire à Saint-Séverin. Il était alors allé rejoindre, dans le quartier Latin, quelques amis avec lesquels il avait passé la soirée et la nuit.

Pendant la nuit, on avait fait un projet. Les habits de l’École polytechnique, fort en baisse la veille, c’est-à-dire avant que l’insurrection fût déclarée, étaient, au contraire, fort considérés depuis que l’insurrection avait grandi.

Ce projet qu’on avait fait pendant la nuit, c’était d’aller, au point du jour, chercher des habits à l’École polytechnique.

En conséquence, Charras, vers quatre heures du matin, sonnait à la grille avec un de ses amis nomme Lebeuf.