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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 6.djvu/154

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Presque immédiatement le canon retentit pour la deuxième fois, et l’ouragan de fer passa de nouveau sur ma tête.

À ce second coup de canon, il ne fut plus question d’aller en avant. Deux hommes, jugeant l’eau plus sûre que le parquet du pont, sautèrent dans la Seine, et gagnèrent à la nage le quai de l’institut. Le reste, comme une volée d’oiseaux effarouchés, revint à tire-d’aile et s’enfonça dans la rue des Petits-Augustins et dans cette espèce d’impasse qui longe la Monnaie.

En un instant, le quai devint parfaitement désert.

Un troisième coup de canon fut tiré, et, si peu vaniteux que je sois, je puis dire que ce troisième coup de canon fut tiré pour moi seul.

J’avais, depuis longtemps, fait mon plan de retraite, et je le basais sur la petite porte de l’institut qui était à ma gauche.

À peine le coup de canon était-il tiré, qu’avant que la fumée fût dissipée et permît de voir ma manœuvre, je m’élançai et frappai à la porte à grands coups de crosse de fusil.

La porte s’ouvrit, et même sans trop se faire attendre, ce qui est une justice à rendre au concierge ; d’habitude, aux heures de révolution, les concierges ne sont pas si alertes.

Je me glissai dans l’entre-bâillement ; j’étais à l’abri.

Comme le concierge refermait la porte, une balle la traversa, mais sans le blesser.

Une fois là, je n’avais que le choix des amis ; je montai chez madame Guyet-Desfontaines.

Je dois dire que ma première apparition ne produisit pas tout l’effet que j’en attendais. D’abord, on ne me reconnut pas ; puis, quand on m’eut reconnu, on me trouva assez mal vêtu : le lecteur se rappelle mon costume.

J’allai chercher mon fusil, que j’avais laissé à la porte pour ne pas effrayer madame Guyet et sa fille. Mon fusil expliqua tout.

À partir de cette reconnaissance, madame Guyet, malgré la gravité de la situation, fut charmante de verve, d’esprit et d’entrain ; c’est, sous ce rapport, une femme incorrigible.