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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 6.djvu/155

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Je mourais de faim et surtout de soif. J’exposai naïvement mes besoins.

On alla me chercher une bouteille de vin de Bordeaux, que j’avalai presque d’un seul coup.

On m’apporta une immense jatte de chocolat que je dévorai.

Je crois que j’avais avalé le déjeuner de tout le monde !

— Ah ! fis-je parodiant Napoléon à son retour de Russie, et en m’allongeant dans un grand fauteuil, il fait meilleur ici que derrière le lion de l’institut !

Comme on le comprend bien, il me fallut faire le récit de mon iliade. Mon iliade se composait jusque-là d’une victoire et de deux retraites.

Il est vrai que la dernière retraite — moins les dix mille hommes dont je n’avais pas l’embarras — pouvait se comparer à celle de Xénophon.

Mais aussi, en revanche, la première ressemblait beaucoup à celle de Waterloo.

Il y eut une mention honorable pour le lion, qui m’avait probablement sauvé la vie, et qui avait, dans la circonstance, cette supériorité sur celui d’Androclès, de n’avoir pas un bienfait à acquitter.

Il résulta de ce charmant accueil, dont je me souviens dans ses moindres détails après plus de vingt-deux ans, que l’appartement de madame Guyet-Desfontaines faillit être pour moi ce que Capoue avait été, deux mille ans auparavant, pour Annibal. Cependant, avec un peu de force, j’eus cet avantage sur le vainqueur de la Trebia, de Cannes et de Trasimène, de m’arracher à temps aux délices qui m’étaient faites.

Je sortis par la petite porte de la rue Mazarine, et je regagnai mon logis de la rue de l’Université.

Cette fois, je fus reçu en triomphateur par mon concierge ; la position se dessinait.

Au lieu de me mettre à la porte, il était question de me dresser un arc de triomphe.

Joseph époussetait l’armure de François Ier.