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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 6.djvu/181

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Voilà l’homme qui a été ministre, et qui a gouverné le peuple français ! voilà l’homme dont les fils ont été ambassadeurs, et ont représenté le peuple français !

À cinq heures, le général Gérard daigna se montrer à la foule.

Il avait encore la cocarde blanche à son chapeau. Cette cocarde excita des murmures, et force fut au général de l’ôter ; mais aucune instance ne put le déterminer à mettre la cocarde tricolore.

Au moment où le général Gérard sortait de l’hôtel Laffitte, le duc de Choiseul y entrait ; de jaune qu’il était ordinairement, le pauvre duc était devenu vert.

Il y avait bien de quoi. Depuis le matin, il faisait partie du gouvernement provisoire ; depuis le matin, il signait des proclamations ; depuis le matin, il rendait des décrets !

Tant qu’on s’était battu dans les rues, le duc de Choiseul n’avait point osé sortir ; il avait bien peur d’être compromis, mais il avait encore plus peur d’être tué. La fusillade éteinte, M. de Choiseul avait entr’ouvert ses contrevents, il avait vu tout le monde dans les rues, la ville en joie : il avait descendu marche à marche ses escaliers couverts de tapis, il avait hasardé un pied hors de son hôtel ; puis, enfin, il s’était risqué à pousser jusque chez M. Laffitte.

Qu’y venait-il faire ? Pardieu ! ce n’est pas difficile à deviner : il venait protester contre l’abominable faussaire qui avait abusé de son nom, et qui surtout avait assez peu respecté ce nom pour l’accoler à celui de M. Motié de la Fayette !

C’est vrai, M. de Choiseul ; quoique d’une bonne maison d’Auvergne, M. Motié de la Fayette ne descendait pas de Raymond III, comte de Langres, et d’Alix de Dreux, petite-fille de Louis le Gros ; mais je ne sache pas non plus qu’il ait eu des ancêtres accusés d’avoir, à l’instigation de l’Autriche, empoisonné un dauphin de France.

Cela, il me semble, aurait dû faire compensation, et vous inspirer, monsieur le duc, quelque considération pour ce pauvre gentilhomme et pour sa famille.