Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 6.djvu/19

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
16
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Bon ou mauvais, Henri III, du moins, était une pièce originale, tirée de nos chroniques, dans laquelle on retrouvait peut-être des souvenirs des autres théâtres, mais qui n’en imitait aucun.

Marion Delorme, qu’on n’avait pas pu obtenir de la censure, et Hernani, qu’on allait représenter, étaient des pièces du même genre.

Seulement, Henri III était un ouvrage plus fort par le fond, et Hernani et Marion Delorme des ouvrages plus remarquables par la forme.

Malheureusement, les Comédiens français étaient roidis dans certaines habitudes : il était impossible, en général, de les faire passer du tragique au comique, sans qu’ils fissent quelque terrible faute d’intention et même d’intonation ; nous avons raconté l’anecdote de Michelot et des quatre vers relatifs à l’armoire.

Il faut dire aussi que, souvent, chez Hugo, le comique et le tragique se touchent sans nuances intermédiaires, ce qui rend l’interprétation de sa pensée plus difficile que si, entre la familiarité et la grandeur, il se donnait la peine d’établir une gamme ascendante ou descendante.

La langue anglaise rhythmée, scandée, divisée par brèves et par longues, a un grand avantage sur la nôtre, et, cet avantage, Shakspeare l’a largement exploité ; ses pièces, en général, sont écrites entrois langues : en prose, en vers blancs et en vers rimés.

Les gens du peuple ou de condition inférieure parient en prose, les personnages intermédiaires parlent en vers blancs, les princes et les rois parlent en vers rimés.

En outre, si les idées s’élèvent dans la bouche de l’homme de condition inférieure, Shakspeare met à sa disposition les deux modes ascendants d’exprimer sa pensée ; si les idées s’abaissent dans la bouche d’un roi ou d’un prince, il sera libre de s’emparer, pour ne pas nuire à l’expression, du langage de la bourgeoisie, et même du langage du peuple.

Au reste, le public qui nous écoutait ignorait toutes ces choses, était indifférent à toutes ces distinctions : on venait