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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 6.djvu/192

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Mais je n’avais pas écrit quatre lignes, que je sentis mes yeux qui se fermaient malgré moi.

Je n’avais aucune raison pour lutter contre le sommeil ; je tombais de fatigue ; j’arrangeai deux fauteuils en manière de lit de camp, et je m’endormis malgré le vacarme horrible qui se faisait autour de moi, sous moi et au-dessus de moi.

Je me réveillai qu’il faisait grand jour.

À part quelques coups de fusil et deux ou trois alertes, la nuit avait été parfaitement tranquille.

Je me regardai dans une glace, et compris le besoin que j’avais de rentrer chez moi.

Je n’avais pas changé de linge depuis trois jours ; je n’avais pas fait ma barbe depuis deux ; j’avais le visage couvert de coups de soleil, et la moitié des boutons de ma veste de coutil détachés par la pesanteur des balles qui la tiraient d’un côté ; enfin, une de mes guêtres et un de mes souliers étaient couverts du sang du pauvre diable que j’avais aidé à se soulever jusqu’à la fontaine de l’institut.

Je sortis de mon cabinet, et je trouvai Bonnelier à son poste.

Il me fit signe qu’il avait quelque chose à me montrer.

J’allai à lui ; il me glissa un papier dans la main.

— Prenez une copie de cela, si vous voulez, me dit-il ; mais surtout n’égarez pas ma copie !

— Qu’est-ce que ce papier ?

— Neuilly, trois heures et un quart du matin… udard, messager… Rubrique Laffitte.

— Bon !

Je pris une plume, et je copiai mot pour mot la note suivante. Seule, cette note serait déjà une curiosité ; mais, mise en pendant de la lettre qu’on lira plus tard, elle s’élève à la hauteur d’une pièce historique, comme ces meubles qui, reconnus authentiques, passent d’un magasin de bric-à-brac à un musée.

Voici la note :

« Le duc d’Orléans est à Neuilly avec toute sa famille. Près de lui, à Puteaux, sont les troupes royales. Il suffirait d’un