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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Le malheureux cheval était sur les dents ; je crus que lui aussi, comme son illustre homonyme, avait vu son dernier jour.

Je payai les dix francs convenus ; j’ajoutai noblement quarante sous de pourboire, et j’entrai dans la cour de la poste.

Justement, le maître de poste faisait atteler son cabriolet.

Je marchai à lui, je me nommai, je lui montrai l’ordre du général Gérard, la proclamation du général la Fayette, et je lui demandai de me fournir les moyens d’exécuter ma mission.

— Monsieur Dumas, me dit-il, j’attelais mon cheval pour aller chercher des nouvelles à Paris ; vous m’en donnez, et de bonnes : je n’ai plus besoin d’y aller. Je vais faire mettre des chevaux de poste au cabriolet, et vous faire conduire jusqu’au Mesnil ; si vous ne trouvez pas de voiture au Mesnil, vous garderez mon cabriolet, et, à votre retour, vous le réintégrerez sous la remise.

On ne pouvait pas mieux parler.

Sur ces entrefaites, je m’entendis appeler par mon nom ; ce ne pouvait déjà être Bard. Je me retournai.

C’était André Marchais, un de nos plus ardents et de nos plus, purs patriotes ; il arrivait de Bruxelles, ou la nouvelle de l’insurrection n’était parvenue que la veille.

Nous nous embrassâmes de grand cœur. — J’ai su, depuis, qu’en arrivant à Paris, il avait trouvé un mandat d’amener signé du duc de Raguse, et qui lui était commun avec le général la Fayette, Laffitte et Audry de Puyraveau.

Pendant que nous nous embrassions, les chevaux avaient été attelés à ma voiture et à celle de Marchais, et Marchais partait pour Paris.

— À vos ordres, reprit le maître de poste, qui s’étonnait de mon peu d’empressement.

— Pardon, répondis-je, mais j’attends un camarade qui doit arriver de Paris avec mon cheval et des pistolets… Je compte même, si vous le voulez bien, laisser mon cheval chez vous en échange de votre cabriolet.

— Laissez tout ce que vous voudrez.