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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 6.djvu/208

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Nous jetâmes un regard sur les lointains de la route ; rien ne paraissait encore.

— Nous aurions le temps, dis-je au maître de poste, de confectionner un drapeau tricolore.

— Pour quoi faire ? demanda-t-il.

— Pour mettre sur votre cabriolet… Cela indiquera à quelle opinion nous appartenons, et servira à ce qu’on ne nous arrête pas, nous prenant pour des fugitifs.

— Eh ! eh ! fit le maître de poste en riant, peut-être bien qu’on vous arrêtera, au contraire, parce que vous aurez l’air de tout autre chose !

— N’importe, je serais flatté de naviguer sous les trois couleurs.

— Ah ! quant à cela, c’est bien facile ! 

Il traversa la rue et entra chez un marchand de rouenneries ; nous achetâmes un demi-mètre de mérinos blanc, un demi-mètre de mérinos bleu, un demi-mètre de mérinos rouge, à la condition, qu’on nous livrerait ces trois demi-mètres cousus les uns aux autres, et le tout cloué sur un manche à balai.

Au bout de dix minutes, le drapeau tricolore était terminé ; il coûtait douze francs, le manche à balai compris.

On l’assujettit avec deux cordes à la capote du cabriolet.

Comme nous achevions cette besogne, nous aperçûmes Bard, qui arrivait au grand galop sur mon cheval.

Je lui fis signe de se hâter, s’il était possible.

Il ne pouvait pas aller plus vite. Enfin, il nous joignit.

— Ah ! dit-il, vous avez trouvé un cabriolet, tant mieux : j’ai déjà le derrière en compote !

Puis, mettant pied à terre :

— Voilà votre cheval et vos pistolets, dit-il.

— Vous n’avez pas pensé à prendre une chemise ?

— Ma foi, non !… Vous ne m’avez point parlé de chemise, il me semble.

— Non, et c’est moi qui suis dans mon tort… Remettez le cheval au garçon d’écurie, gardez les pistolets, et montez vite ! il est cinq heures !