Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 6.djvu/214

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
211
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Je vais les charger.

Bard me regardait avec terreur.

Je mis une capsule à chaque cheminée, et je poussai une bourre jusqu’au milieu de chaque canon.

Je venais d’achever l’opération lorsque le cabriolet s’arrêta, et lorsque, tout jurant, le postillon vint pour détacher les traits, comme il m’en avait menacé, levant lourdement, l’une après l’autre, chacune de ses jambes garnies de leurs grosses bottes.

Je l’attendais le pistolet à la main.

— Père Levasseur, lui dis-je, vous savez que, si vous touchez aux traits, je vous casse la tête.

Il leva le nez, et vit la double embouchure du pistolet.

— Bon ! dit-il, on ne tue pas les gens comme cela !

Et il porta la main aux traits.

— Père Levasseur, prenez garde à ce que vous faites ! Vous dételez, je crois ?

— Mes chevaux sont mes chevaux, et, quand on les surmène, je les dételle, oui…

— Père Levasseur, avez-vous une femme, des enfants ?

Il leva le nez une seconde fois : la question lui paraissait étrange.

— Oui-da, que j’ai une femme, et quatre enfants, donc ! un garçon et trois filles.

— Eh bien, père Levasseur, je vous avertis que, si vous ne lâchez pas les traits de vos chevaux, la République sera obligée de faire une pension à votre femme et à vos enfants.

Le père Levasseur se mit à rire, et empoigna les traits à pleines mains.

J’appuyai sur la gâchette, la capsule fit explosion, la bourre atteignit mon homme au milieu du visage.

Il se crut tué ; il tomba à la renverse, les deux mains sur la figure, et à moitié évanoui.

Avant qu’il fût revenu de son étourdissement, je lui avais tiré ses bottes, comme le petit Poucet celles de l’Ogre ; je les avais passées à mes pieds, j’avais enfourché le porteur, et je partais au grand galop.